Nouvelles voix féminines de la littérature de langue française

Si Didier Eribon, Edouard Louis, Michel Houellebecq et Eric Vuillard font toujours partie des auteurs français les plus lus en Allemagne, plusieurs voix féminines viennent désormais leur voler la vedette. La nouvelle édition et traduction en allemand des œuvres d’Annie Ernaux chez Suhrkamp ou le succès de la trilogie Vernon Subutex de Virginie Despentes étaient déjà des signes de la popularité croissante des autrices françaises. Mais depuis le début de l’année, le succès de nombreuses nouvelles voix féminines venues de France ont prouvé qu’Ernaux ou Despentes n'étaient pas des exceptions …

Après le grand succès de La Tresse en 2018, qui avait su convaincre d'emblée les lecteurs allemands, le deuxième roman de Laetitia ColombaniLes Victorieuses, confirme brillamment l'entrée sur la scène littéraire de cette nouvelle voix francaise, puisqu’il caracole en tête des listes de bestsellers depuis plusieurs semaines. Marion Messina a été qualifiée de « nouvelle Houellebecq » pour son premier roman, Faux départ, mais est peut-être simplement elle-même … Lisez vous-même pour vous faire votre propre idée ! Des nouveaux titres d’Emmanuelle Bayamack-TamBelinda Cannone et Nathalie Azoulai sont également parus au début de l’année. Enfin, dans les semaines à venir, vous pourrez découvrir les très attendus premiers romans d’Isabelle Mayault et Adeline Dieudonné. Du côté des essais, on trouve également des nouveautés intéressantes, et notamment Sorcières. La puissance invaincue des femmes de Mona Chollet, qui a connu un immense succès en France et qui vient de paraître en allemand.

Laetitia Colombani, Les Victorieuses, Grasset („Das Haus der Frauen“, Übersetzung von Claudia Marquardt, S. Fischer)

À 40 ans, Solène a tout sacrifié à sa carrière d’avocate  : ses rêves, ses amis, ses amours. Un jour, elle craque, s’effondre. C’est la dépression, le burn-out. Pour l'aider à reprendre pied, son médecin lui conseille de se tourner vers le bénévolat. Peu convaincue, Solène tombe sur une petite annonce qui éveille sa curiosité  : «  cherche volontaire pour mission d’écrivain public  ». Elle décide d'y répondre. Envoyée dans un foyer pour femmes en difficulté, le Palais de la Femme, elle a du mal à trouver ses marques. A la faveur d'une tasse de thé, d'une lettre à la Reine Elizabeth ou d'un cours de zumba, Solène découvre des personnalités singulières, venues du monde entier. Près d’un siècle plus tôt, Blanche Peyron a un combat. Cheffe de l'Armée du Salut en France, elle rêve d'offrir un toit à toutes les exclues de la société. Elle se lance dans un projet fou  : leur construire un Palais.

Marion Messina, Faux départ, Le Dilettante („Fehlstart“, Übersetzung von Claudia Steinitz, Hanser)

Ma foi, qu’est-ce donc que la vie qu’on vit ? D’expérience, elle a la douceur d’un airbag en béton et la suavité d’un démaquillant à la soude, ne serait-elle qu’une épaisse couche d’amertume sur le rassis d’une tartine de déception ? Pas moins, pas plus ? À ma gauche, Aurélie, à ma droite Alejandro ! Entre la Grenobloise de petite extraction qui crève la bulle d’ennui dans une fac facultative, souffre-douleur d’un corps en plein malaise, et le Colombien expatrié, ça s’aime un temps mais ça casse vite. D’aller de Paris en banlieue, de banlieue à Paris, d’œuvrer comme hôtesse d’accueil, de manger triste, coucher cheap et vivre en rase-motte, rencontrer Franck puis Benjamin ne change que peu de choses à l’affaire. Renouer avec Alejandro ne modifie guère la donne : l’amour fou, la vie inimitable, le frisson nouveau sont toujours à portée de corps, jamais atteints. Toujours en phase d’approche, jamais d’alunissage. Que voulez-vous, la vie fait un drôle de bruit au démarrage. Jamais on ne passe la seconde. Faux départ, telle est la règle.

Isabelle Mayault, Une longue nuit mexicaine, Gallimard („Eine lange mexikanische Nacht“, Überstzung von Jan Schönherr, Rowohlt)

À la mort de sa cousine sur la route du Pacifique, au Mexique, un homme hérite d’une valise. Il découvre qu’elle contient des milliers de négatifs des photos de la guerre d’Espagne prises par Capa, Taro et Chim. Et se retrouve dans l’embarras. Faut-il par loyauté se taire et s’en faire le nouveau gardien ? Ou en dévoiler l’existence ? Pour en décider, il remonte la piste des propriétaires successifs de la valise et reconstitue, près de soixante-dix ans après, la longue nuit pendant laquelle l’héroïsme, la discrétion, l’audace de quelques hommes et femmes ont sauvé ces précieux clichés. À lui, désormais, d’en imprimer le nouveau destin.

Emmanuelle Bayamack-Tam, Arcadie, P.O.L („Arkadien“, Übersetzung von Patricia Klobusiczky, Secession)

La jeune Farah, qui pense être une fille, découvre qu’elle n’a pas tous les attributs attendus, et que son corps tend à se viriliser insensiblement. Syndrome pathologique ? Mutation ou métamorphose fantastique ? Elle se lance dans une grande enquête troublante et hilarante : qu’est-ce qu’être une femme ? Un homme ? Et découvre que personne n’en sait trop rien. Elle et ses parents ont trouvé refuge dans une communauté libertaire qui rassemble des gens fragiles, inadaptés au nouveau monde, celui des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Et Farah grandit dans ce drôle de paradis avec comme terrain de jeu les hectares de prairies et forêts qu’elle partage avec les animaux et les enfants de la communauté qui observent les adultes mettre tant bien que mal en pratique leurs beaux principes : décroissance, anti-spécisme, naturisme, amour libre et pour tous, y compris pour les disgraciés, les vieux, les malades. Farah découvre l’amour avec Arcady, le chef spirituel et enchanteur de ce familistère. Elle apprend non seulement la part trouble de notre identité et de notre sexualité, mais également, à l’occasion d’une rencontre avec un migrant, la lâcheté, la trahison. Ce qui se joue dans son phalanstère, c’est ce qui se joue en France à plus grande échelle. Arcady et ses ouailles ont beau prêcher l’amour, ils referment les portes du paradis au nez des migrants. Pour Farah c’est inadmissible : sa jeunesse intransigeante est une pierre de touche pour mettre à l’épreuve les beaux principes de sa communauté. Comme toutes nos peurs et illusions sur l’amour, le genre et le sexe.

Belinda Cannone, Entre les bruits, Editions de l’Olivier („Vom Rauschen und Rumoren der Welt“, Übersetzung von Claudia Steinitz und Tobias Scheffel, Edition Converso)

Jeanne a l’ouïe si fine qu’elle entend tout. Le crissement des griffes d’une souris dans la maison voisine. Ou le gémissement d’une renarde au fond de la forêt. Ou le flic-flac de la pluie sur les feuilles d’un arbre éloigné. Toutes ces choses l’inquiètent plus qu’elles ne l’émerveillent. Jeanne a onze ans. Elle aimerait comprendre ce qui lui arrive. Jodel est un homme qui possède le même don – talent ? handicap ? – que Jeanne. Lorsqu’ils se rencontrent, il décide de lui apprendre à maîtriser cette faculté étrange qu’ils ont en commun. Une merveilleuse amitié naît entre eux, une amitié joyeuse et studieuse. Mais, très vite, tout se complique : une musicienne amoureuse, un fait divers sordide, les Renseignements généraux, un groupe de marginaux, un criminel de guerre non repenti font tour à tour irruption dans cette histoire parfaitement logique et totalement rocambolesque. C’est que nous sommes dans un conte, ou plutôt une fable moderne. Et que l’auteur de cette fable, qui a pour objet la rumeur du monde, ne renonce à rien pour se faire entendre. Féerique, érotique, politique, ce roman qui mêle tous les genres est aussi une exploration du désordre.

Nathalie Azoulai, Les Spectateurs, P.O.L („Die Zuschauer“, Übersetzung von Paul Sourzac, Secession)

Dans le salon d’un petit appartement, un enfant de 13 ans, sa petite sœur et ses parents regardent la télévision. Le général de Gaulle, président de la République, y donne une conférence de presse qui les sidère. Celle du 27 novembre 1967. L’enfant comprend en direct qu’on peut avoir à quitter son pays natal, comme ses parents chassés de chez eux quelques années plus tôt. Bouleversé, il veut savoir comment ça s’est passé et questionne ce premier exil. Il leur demande quand et comment on décide de partir, ce qu’on emporte dans ses valises, ce qu’on laisse derrière soi mais, à toutes ses questions, personne ne répond vraiment, comme si on lui cachait quelque chose. Le soir même de la conférence, sa mère se confie à sa voisine Maria, une couturière qui lui confectionne toutes ses robes d’après celles que portaient les stars hollywoodiennes des années 40. Rita Hayworth, Lana Turner, Gene Tierney, des figures qui accompagnent sa vie et qu’elle invoque à tout bout de champ. De l’autre côté du mur, l’enfant reconstitue les menaces, le départ, les adieux, et parvient à recoudre les différents pans d’une histoire qui entrelace l’amour et le secret, l’exil et le cinéma, l’Orient et l’Occident …

Adeline Dieudonné, La Vraie Vie, Editions de l’Iconoclaste („Das wirkliche Leben“, Übersetzung von Sina de Malafosse, dtv)

Chez eux, il y a quatre chambres. Celle du frère, la sienne, celle des parents. Et celle des cadavres. Le père est chasseur de gros gibier. Un prédateur en puissance. La mère est transparente, amibe craintive, soumise à ses humeurs. Avec son frère, Gilles, elle tente de déjouer ce quotidien saumâtre. Ils jouent dans les carcasses des voitures de la casse en attendant la petite musique qui annoncera l’arrivée du marchand de glaces. Mais un jour, un violent accident vient faire bégayer le présent. Et rien ne sera plus jamais comme avant.

Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, La Découverte („Hexen. Die unbesiegte Macht der Frauen“, Übersetzung von Birgit Althaler, Nautilus)

Qu’elles vendent des grimoires sur Etsy, postent des photos de leur autel orné de cristaux sur Instagram ou se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump, les sorcières sont partout. Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure. La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l’Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femme ces siècles de terreur ont-ils censurés, éliminés, réprimés ? Ce livre en explore trois et examine ce qu’il en reste aujourd’hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante — puisque les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant — puisque l’époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d’horreur. Enfin, il sera aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s’est développé alors tant à l’égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.